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Pestacle

Oubliez tout ce que vous savez sur les opéras « Tudor » de Donizetti. Bastarda en est une déclinaison, un spin-off, mais certainement pas une adaptation traditionnelle. C’est un grand spectacle, flamboyant, drôle et dynamique aussi, qui lui offre un éclairage nouveau.

Figurant parmi les projets phares de la saison de La Monnaie, ce spectacle signé Olivier Fredj (pour le concept et la mise en scène) et Francesco Lanzillotta (pour la direction musicale et les arrangements) entend créer une nouvelle dramaturgie autour d’Anna BolenaMaria StuardaRoberto Devereux et Elisabetta al castello di Kenilworth. En deux soirées, le duo propose de conter la vie complexe d’Élisabeth Ière d’Angleterre, de sa naissance à sa mort, en s’appuyant sur la partition de Donizetti mais en y intégrant une nouvelle dynamique et de nouveaux extraits musicaux.

Un projet immensément ambitieux, un pari risqué, mais remporté haut la main.  Bastarda offre en effet un vent de fraîcheur dans le monde de l’opéra, et propose une nouvelle manière de le concevoir aujourd’hui, sans pour autant renier l’héritage ou mettre la musique au second plan. Il brise les codes et, si on accepte de se laisser aller à cette proposition, nous transporte dans un riche voyage à travers l’histoire de l’Angleterre, qui trouve un écho avec notre Histoire.

Oubliez tout et laissez-vous guider

« Eteignez vos téléphones… et déconnectez vos cerveaux », nous préviennent d’ailleurs dès les premières minutes les deux narrateurs qui seront nos guides pendant tout le spectacle. À la manière de la voix off d’un film (ou d’une série !), les deux gentlemen  so british nous invitent à oublier tout ce que nous savons jusqu’ici et nous content, de manière théâtrale, l’histoire qui se déroule sous nos yeux, la teintant de références (parfois actuelles) et de touches d’humour.

Une histoire contée en deux parties, entre lesquelles le suspens se crée. La première, extrêmement dense (peut-être un peu trop ?) mais captivante, donne le ton et parcourt les premières années de la vie d’Elisabeth, de son rejet (« Tu es une bâtarde ! »), jusqu’à son accession au trône. La deuxième, peut-être plus percutante, est celle où les désillusions arrivent. Le ton se durcit, la mort s’installe, les âmes errent à l’image des chœurs qui se muent sur scène tels des âmes en peine, ou des danseurs qui aspirent Mary dans la mort telles des sangsues dans la grandiose scène de sa mise à mort. Avant de, finalement, faire la paix avec son enfant intérieur et abdiquer devant le poids du costume.

Cette manière de séquencer l’histoire d’Elisabeth crée un dynamisme réjouissant, que l’on retrouve aussi dans la manière dont Olivier Fredj la met en scène. Sur le plateau, mais aussi dans la salle et dans les couloirs de La Monnaie ou se déroule une partie de l’action, Bastarda crée des images fortes. Lorsque le rideau se lève, on aperçoit un immense écran noir qui donne une profondeur infinie à la scène. C’est sur celui-ci que seront projetées des vidéos (créées par Sarah Derendinger), parfois en slowmotion, qui donnent du contexte et/ou créent du relief.

Le ton, parfois impertinent et souvent drôle mais toujours élégant, brise la distance entre la scène et le public. Il n’y a jamais ou presque de temps mort : le décor évolue, les volumes changent, des miroirs apparaissent puis se cachent et renvoient à Elisabeth et à son destin.

Le poids du costume (signés Petra Reinhard) joue aussi un rôle central dans la mise en scène. De plus en plus imposantes à mesure que l’histoire avance, les robes d’Elisabeth font écho à son destin. Et met en perspective le pouvoir au féminin et le destin d’une reine.

Un spectacle au service de la musique

Inventive, Bastarda est un ravissement pour les yeux, mais aussi pour les oreilles. La partition de Donizetti et les arrangements de Francesco Lanzillotta se mêlent en harmonie pour mettre en évidence l’œuvre d’origine de manière différente. Les airs se succèdent dans une construction nouvelle pour répondre à la trame du spectacle. Certains revenant ponctuer l’histoire à plusieurs moments.

Les dialogues parlés tiennent une place importante, mais pas au détriment de la musique qui tient la place centrale, menée par la direction précise et affirmée de Francesco Lanzillotta qui donne le ton de l’œuvre. Aidé, bien sûr, par la justesse du casting vocal de haut vol. Myrtò Papatanasiu est impériale dans le rôle d’Elisabeth faisant preuve à la fois de délicatesse et d’agilité mais trouvant aussi de la force pour exprimer le désespoir de son personnage. Face à elle, on peut notamment citer l’Anna Bolena explosive et virtuose de Salome Jicia, la finesse d’Enea Scala en Leicester ou les impressionnantes vocalises de la Maria Stuarda de Lenneke Ruiten.

Double enfantin et imaginaire d’Elisabeth, Nehir Hasret est la révélation du spectacle.
Double enfantin et imaginaire d’Elisabeth, Nehir Hasret est la révélation du spectacle. – Bernd Uhlig

Sans oublier les comédiens. Double enfantin et imaginaire d’Elisabeth, la jeune Nehir Hasret, 12 ans !, est la révélation du spectacle. Avec une diction parfaite, doublée d’un sens théâtral et d’une vraie sensibilité, elle offre un miroir à l’âme de la reine, nous aide à appréhender son histoire et la rendant plus captivante encore.

Bastarda  offre un panorama de l’Histoire d’Angleterre, dans une trame peut-être plus facile à comprendre que dans un opéra « traditionnel ». Un spectacle captivant, qui permet aussi de saisir la complexité du destin d’Elisabeth 1ère. Une femme de pouvoir dont la vie trouve une résonance particulière aujourd’hui encore.

Bastarda, spectacle en deux parties, jusqu’au 16 avril à La Monnaie. Infos et dernières places sur : www.lamonnaie.be

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